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« Le Déluge » (The Deluge), de Stephen Markley, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, Albin Michel, « Terres d’Amérique », 1 056 p., 24,90, €, numérique 17 €.
Généreux en catastrophes, massacres, violences politiques et scènes apocalyptiques, Le Déluge, volumineux deuxième roman de l’Américain Stephen Markley, se distingue pourtant par son traitement de l’intime et du détail, de la douceur et de l’amertume. Sa description très convaincante du dérèglement climatique et de la tempête idéologique et sociale qui l’accompagne repose de fait sur une toile d’émotions et de pensées fragiles, minuscules même.
Scrupuleusement attachée aux mouvements imperceptibles de l’âme et du cœur de chacun de ses personnages, la narration passe par une multitude de chas d’aiguilles pour nous montrer le monde en train de sombrer. Plus encore que le mégafeu El Demonio, qui ravage Los Angeles en 2031, ou l’ouragan Kate, qui anéantit une grande partie de la Caroline du Nord en 2039, les errances et les erreurs, les révoltes et les renoncements de Matt, Keeper, Jackie, Shane et des autres naufragés du roman disent très exactement au lecteur cet enfer qui feint d’être devant nous mais qui est déjà le nôtre.
Très remarqué pour son premier roman, Ohio (Albin Michel, Grand Prix de littérature américaine 2020), Stephen Markley, né en 1983, a travaillé à ce nouveau livre pendant une dizaine d’années, avant sa parution aux Etats-Unis en 2023. Son ampleur, son sujet, son habileté à jouer avec les codes de la fiction documentaire comme de la dystopie impressionnent, évidemment. Mais le plus frappant est ailleurs. Loin de se lover confortablement au creux d’une architecture épique conventionnelle ou d’un tempo romanesque classique – à la manière, par exemple, du film de Roland Emmerich Le Jour d’après (2004) –, l’auteur semble, au contraire, s’amuser à égarer son lecteur.
Polyphonique autant que polymorphe, le roman change de fil narratif comme de personnage et se construit en grande partie sur un art consommé de l’ellipse, sautant en permanence d’une histoire à une autre, d’une décennie à une autre, ce qui est un comble pour un texte aussi méticuleux et dense – quelques fausses coupures de presse, des enquêtes et des rapports venant remplir les trous, enjamber les époques et les événements.
Car, le temps d’une génération (2013-2039), Le Déluge tente l’impossible : saisir les conséquences du réchauffement climatique global à hauteur de femmes et d’hommes (et d’un personnage non binaire aussi, particulièrement réussi). Qu’il s’agisse d’activistes millénaristes s’affairant dans les coulisses du pouvoir états-unien à Washington, d’écoterroristes paranoïaques, de capitalistes repenties et hésitantes, de vétérans de l’armée américaine, de marginaux drogués au fentanyl ou de mères célibataires débordées, chacun essaie tant bien que mal de s’en sortir.
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